Lettres aux Provinciales, juillet 1944




Un texte de Véra Bosc
Interprété par Elsa Bosc
Mis en scène par Yaël Elhadad et Thierry Bosc
Création lumière Kelig Le Bars
Création costume Alice Laloy
Une création de la Compagnie La Véraison
Production déléguée Le Granit, scène nationale, Belfort
Coproduction Le Granit, scène nationale, Belfort Centre dramatique national de Montreuil
D’après une maquette et avec le soutien du Jeune Théâtre National


Ce spectacle a été joué:
Au Granit, Scène nationale de Belfort, du 20 au 23 Janvier 2004
Au Centre dramatique national de Montreuil 
du 26 Janvier au 7 Février 2004
Au Festival d’Avignon, Surya Théâtre, du 8 au 31 Juillet 2004
Aux Théâtrales Charles Dullin, Théâtre de l’Aqueduc, 
du 22 au 23 Novembre 2004



« Je suis sûre que ça ne sera pas assez long pour être absolument tragique »
Véra Bosc, juillet 1944

Paris, Juillet 1944 :
Un mois après le Débarquement, un mois avant la Libération de Paris, Véra écrit à sa mère réfugiée en Province et à qui elle a confié ses deux jeunes enfants. Véra et son mari, Francis, animent en tant que pasteurs, un centre social protestant, le Foyer de Grenelle, dans le XVème arrondissement.
A travers cette lettre-journal, on découvre la vie quotidienne de cette jeune femme, enceinte, et de son mari, dans la capitale occupée en proie aux restrictions et à la peur. Un quotidien que connaissent tous les parisiens: celui de la « débrouille » pour subvenir aux besoins vitaux.
En revanche, pas d’allusion aux événements, ni aux services rendus à la Résistance, ce « quotidien- là », par précaution, n’apparaît pas. Il se devine entre les lignes…au fil du jeu.
On a vu, revu, lu et entendu beaucoup de choses sur la Seconde Guerre Mondiale. Ici, on regarde à la loupe un pan de l’Histoire rarement dévoilé…il ne s’agit plus de vivre mais de survivre avec ses propres armes: l’humour, le courage et la foi.




Paris, janvier 2004 :
Soixante ans plus tard, Elsa Bosc redonne vie aux mots de sa grand-mère.







Croquis Thierry Bosc



Costume Alice Laloy
Photo Robert Doisneau










Extraits du dossier de production



Paris, juillet 1944 : Véra écrit à sa mère réfugiée en Province à

qui elle a confié ses deux jeunes enfants.
A travers cette lettre-journal, on découvre la vie quotidienne d'une
jeune femme, enceinte, et de son mari dans la capitale occupée en
proie aux restrictions et à la peur. Un quotidien que connaissent
tous les parisiens: celui de la «débrouille» pour subvenir aux
besoins vitaux.
En revanche, pas d'allusion aux événements,
ni aux services rendus à la Résistance, ce
«quotidien-là», par précaution, n'apparaît
pas. Il se devine entre les lignes.
Ces deux vies parallèles - l'une racontée,
l'autre secrète - se superposant sans cesse,
et la structure même de cette lettre-journal
scandent des scènes ou actes théâtraux.
Dans le spectacle, ce vécu est donné au
public par une comédienne, seule en scène.
Le public devient destinataire des mots, de
cette parole brute, spontanée et concrète.
Mais il devient aussi complice des
«silences», des non-dits de Véra.
On a vu, revu, lu et entendu beaucoup de choses sur la Seconde
Guerre Mondiale. Ici, on regarde à la loupe un pan de l'Histoire
rarement dévoilé… il ne s'agit plus de vivre mais de survivre avec
ses propres armes: l'humour, le courage et la foi.

de mains en mains, de 1944 à 2004

De Véra à Manou, de Manou à Francis,
de Francis à Thierry, de Thierry à Elsa,
de Elsa à Yaël, de Yaël à……

« Pendant plus de quarante ans, la lettre de Véra est restée
enfouie dans les archives familiales.
La petite «Chantal», qu'attendait Véra pendant cette
semaine de juillet 1944 était en fait un garçon… mon père,
Thierry !
C'est à lui que Francis, mon grand-père, a d'abord confié
cette lettre, il y a quelques années, bien après la mort de ma
grand-mère. J'en suis aujourd'hui la nouvelle dépositaire.
Ce projet est né de l'envie de sceller cette rencontre entre
trois générations : ma grand-mère, Véra, décédée en 1985,
mon père et moi.
Outre l'intérêt de cette lettre en elle-même, on ne saurait
donc masquer sa valeur affective, qui m'a guidée tout au
long de ce projet et à laquelle j'associe mon grand-père
Francis, en le remerciant pour ses précieux conseils et sa
présence.
Déjà, avant de poster cet épais courrier, il avait rajouté ce
mot, prémonitoire :
«Gardez ces lettres : je compte les faire relier sous le titre :
«lettres aux provinciales.»
Elsa Bosc

«Partager cette aventure humaine et familiale. Donner à
entendre et à voir la parole de Véra, sa force.
Laisser résonner aujourd'hui la pertinence de cette parole;
et à travers cela rendre aussi hommage à Véra et à ceux
qu'elle symbolise: ces hommes et femmes qui, dans l'ombre,
par leur courage, leurs convictions et leur foi nous
montrent comment ne pas désespérer de l'humain.»
Yaël Elhadad

«Une écriture épistolaire engendre, assurément, une
excitante et délicate recherche pour sa «mise en théâtre» et
c’est ce qui me passionnait !
Mais quand, à leur lecture de ce texte, vieux de 59 ans, j'ai
constaté l'enthousiasme déterminé de toutes jeunes
femmes, comme Elsa et Yaël, je fus persuadé qu'il y avait un
plus.
C'est peut-être ce «plus», cette passation sur trois générations,
d'un vécu, d'une émotion et d'un humour à toute
épreuve qui m'a convaincu de la nécessité absolue,
immédiate, voire urgente de faire vivre cette écriture sur les
planches.»
Thierry Bosc

le contexte
VVéra Bosc a 24 ans lorsqu'elle écrit cette lettre en 1944.
Elle est mariée depuis quatre ans à Francis, 30 ans. Ils
ont deux enfants, Serge et Olivier, respectivement trois et un
ans, et en attendent un troisième qui naîtra en octobre
(«Chantal» dans le texte).
Véra et Francis se sont rencontrés à la faculté de théologie de
Paris.
Depuis peu, ils animent ensemble, en tant que pasteurs, une
communauté protestante et un centre social, appelé «Foyer
de Grenelle». Ce lieu de culte et de vie se situe rue de
l'Avre, dans un quartier de Paris très populaire à cette
époque : le 15ème.
Toute leur vie et tout particulièrement durant cette
sombre période, ils vivront leur sacerdoce en étroite
communion avec leurs convictions et engagements
politiques et sociaux. A l'image de ces «Justes» reconnus
chaque année, ils ne considèrent en aucune façon leurs
actes ou interventions comme héroïques ou faits de
Résistance, mais naturels et indissociables de leur vie.
Ce texte est écrit sur une semaine du mois de juillet
1944, un mois avant la libération de Paris.
Le débarquement en Normandie vient d'avoir lieu.
L'étau se resserre autour de la capitale, et l'on craint
l'imminence de bombardements. On craint aussi la
famine, car la nourriture se raréfie.
C'est dans ce contexte que, quatre mois plus tôt, en
mars 1944, Véra et Francis ont confié leurs deux
enfants à Manou, la mère de Véra, réfugiée près du
Mans avec Jakou, sa fille cadette.
Ils ne se retrouveront qu'en septembre 1944.

la lettre

S'alimenter
Cette lettre montre comment un couple arrive à vivre, parmi tant d'autres,
à Paris, dans un quartier populaire, pendant la seconde guerre mondiale.
Engagés, Francis et Véra le sont à leur manière, mais ce «quotidien-là» par
précaution n'apparaît pas explicitement dans la lettre.
En revanche, ce dont parle la lettre, c'est de la grande bataille qui occupe les
journées de tous les parisiens : «la bouffe».
C'est bien ici l'intérêt de ce texte : nous permettre d'aborder cette période à
partir d'un point de vue rarement dévoilé et qui pourtant en dit long.
Comment la petite histoire rencontre la grande…
Deux thèmes, récurrents, se dégagent donc dans ce texte : l'alimentation et
l'autocensure.
Une des préoccupations essentielles et quotidiennes de Véra et Francis est
l'alimentation : que va-t-on manger ce soir ? Comment se le procurer ?
En ces temps de raréfaction de la nourriture, l'emploi du temps de Véra est
entièrement consacré à ce besoin vital, et ce d'autant plus qu'elle est
enceinte. Les journées s'organisent en fonction des règles instaurées : cartes
d'alimentation, régime d'inscription chez les commerçants, longues files
d'attente devant les magasins.
«A part ces queues régulières, on en essayait d'autres à droite et à gauche avec
quelques succès qui étaient comme des trophées de victoire, et beaucoup de coups
manqués qu'on finissait par avaler avec résignation.»
Les détails de leurs rares repas - ce qu'ils ont réussi à obtenir pour la journée,
ce qu'il espèrent recevoir demain - répétés chaque jour comme une litanie,
prennent ici toute leur importance. Cette abondance de précisions révèle
aussi l'obsession de la faim : on écrit comme pour se rassasier. La «bouffe» au
quotidien occupe une bonne partie de ces pages, ponctuées par les interruptions
dues à la fatigue inévitable de Véra.
«Ce qu'il y a d'ennuyeux, c'est que le soir je n'arrive plus à écrire ayant pris la
trop bonne habitude de m'endormir. (Maman va dire bravo !)»
Enfin, bien que Véra sache que la nourriture se fait moins rare en province,
cela n'en est pas moins un souci permanent concernant ses enfants et sa mère.
«Merci tout plein pour les tickets beurre et fromage, mais ne vous privez pas ainsi
car il me semble que vous n'avez pas excès de beurre tout de même.»
S'il n'est jamais fait état d'une censure explicite, il n'y en a pas moins une
forme d'autocensure très présente tout au long de la lettre.

TAIRE SES INQUIÉTUDES :
UN MOYEN DE POSITIVER, DE GARDER ESPOIR ET COURAGE
Au fil des jours, Véra de nature généreuse et positive ne montre aucun signe
de faiblesse à sa mère de peur de l'inquiéter. Jamais elle ne s'apitoie ni ne se
plaint. Elle utilise même l'humour, comme pour conjurer leur mauvais sort.
«Ainsi ne vous faites plus de souci ! Vous voyez que Chantal ou Catherine a de
quoi prendre de belles proportions ce qu'elle ne manque pas de faire….. à tel
point que je crois qu'elle n'attendra pas octobre pour entrer dans ce «monde de
délices !»
Elle ne s'attarde pas non plus sur le fait que ses enfants lui manquent et
changent loin d'elle. Sa force vient aussi de sa foi et de sa grande croyance à
laquelle elle fait souvent référence.
«Oui c'est dur, oui on ne trouve plus rien et l'inquiétude règne, mais nous avons
maintenant pleine confiance en Dieu qui pourvoit à notre pain quotidien.»

SE TAIRE : UN MOYEN DE SE PROTÉGER
A première vue, l'absence d'allusions aux événements dans la lettre de Véra,
peut sembler incompréhensible, alors même que le dernier acte de la Seconde
Guerre mondiale est en train de se jouer. Il faut rappeler qu'il était en fait
devenu impossible de le faire sous peine de compromettre dangereusement
les destinataires de la missive, autant que ses auteurs. Quant aux «petits services
» qu'ils rendent à la Résistance, et aux informations qu'ils ont concernant
le destin d'amis proches, ils ne peuvent, a fortiori, absolument pas les
évoquer par écrit.
Véra trouve cependant des moyens détournés de glaner et de donner des
nouvelles, sachant que sa mère est en pleine communion de pensées avec elle.
Elle utilise des pseudonymes pour parler de ses amis de la Résistance et fait
de légères allusions aux informations dont elle dispose, notamment par
Radio Londres.
«La forêt est-elle loin avec ses troupes cachées ?»
croquis Thierry Bosc


Se censurer
D'emblée le traitement d'un texte épistolaire au théâtre nous a questionnés.
Comment faire entendre une lettre sur un plateau sans en faire
une simple lecture ?
Un pari d'autant plus grand ici, qu'il y a le dit et le non-dit de la lettre.
Dans ce spectacle, ce qui est écrit sera dit, ce qui n'est pas écrit sera donné à
comprendre.
Faire entendre le présent de ce «témoignage» est au coeur de notre propos
scénique. L'actrice seule en scène «est» Véra. La lettre est donc dite et adressée
au public. Ainsi, cette parole épistolaire brute est donnée à entendre dans
toute sa spontanéité et son concret .
En effet, Véra rend compte de la réalité d’un temps présent pour elle. Il n’est
pas question ici d’entendre des souvenirs lointains plus ou moins organisés
et hiérarchisés, mais bien de laisser le présent défiler sous la plume, sous nos
yeux. Dès lors ratures, abréviations, mots soulignés et répétitions prennent
pleinement sens et deviennent matières de théâtre.
Ce texte a également valeur de témoignage du passé pour le spectateur, qui se
trouve dans une double position : il est complice de ce que Véra
raconte au présent, mais il est aussi le seul à avoir le recul de l’Histoire, le seul
à savoir.
Si Véra raconte avec force détails les éléments de sa vie quotidienne, elle en
cache une partie. L'enjeu est donc de «faire entendre» aussi les silences de la
lettre. Silences perceptibles dans le texte même - pseudos, allusions codées -
mais aussi par ce que nous connaissons par ailleurs de sa vie et de son engagement
à l'époque.
Sans ajouter une ligne au texte original, sans altérer cette parole brute, il
s'agira grâce à divers procédés scéniques et de jeu, de laisser une place à ces
silences, de les faire entendre et exister.
la mise en scène
Pour laisser l'imaginaire du spectateur libre et permettre l'évocation des
différents lieux et situations, nous avons misé sur un espace sobre et
dépouillé. Un espace à l'image de la solitude et du dénuement du personnage.
Seuls, quatre éléments scéniques sont mis en jeu.
La lampe -lampe de bureau avec interrupteur-
Symbole de la plume qui écrit sur le papier, la lampe est le partenaire principal
de l'actrice. Elle l'allume lorsqu'elle dit ce qui est écrit dans la lettre. Elle
l'éteint pour signifier les suspends de la plume, les arrêts dus à la fatigue
physique ou moral, ou à la réflexion et pour permettre l'évocation des
«secrets» et non-dits.
Le mur de fond de scène -noir, sombre-
Utilisé comme un grand tableau noir, il est le lieu de l'évocation des « secrets
et non-dits. Sur ce tableau, la craie prend le relais de la parole: dessins et mots
codés révèlent l'autre quotidien de la vie du personnage.
Le danger de ces révélations est souligné par le fait d'effacer immédiatement
toutes traces d'écritures. Les traces d'éponges et d'eau succèdent aux traces
d'écriture et se juxtaposent.
La table -en bois, usée-
Suffisamment usuelle, elle évoque aussi bien la cuisine que le bureau.
Suffisamment commune, elle évolue au gré des situations- jusqu'à devenir lit.
Le pliant -en fer et toile solide-
Elément de la vie pratique, indispensable pour une femme enceinte, il
symbolise les longues queues devant les magasins, l'attente chez les commerçants.
Au fur et à mesure du récit, comme la table, il endosse d'autres rôles.
croquis Thierry Bosc